En juin dernier, nous avions déjà présenté une action mise en place à la Maison de Quartier des Quatre-Chemins à Pantin (voir article Cluedo Géant à Pantin, ici). Cette structure comprend deux antennes (Diderot et Vaillant) et fait office de centre social. Ainsi, on y accueille les familles (activités pour la petite enfance, sorties culturelles, accompagnement des parents…), un travail de partenariat avec les associations du quartier y est engagé et un accompagnement à la scolarité est proposé au public primaire.
Nous avons rencontré Mathilde Viktorovitch, référente socio-éducative à la Maison de Quartier, pour qu’elle nous présente sa structure et le projet qu’elle fait vivre tout au long de l’année. De quoi donner des idées…
Guillaume : « Salut Mathilde, tu viens de passer une année à la Maison de Quartier des Quatre-Chemins. Peux-tu nous dire ce que tu y fais ? »
Mathilde : « Je suis arrivée à la Maison de Quartier des 4 Chemins en septembre 2013, au poste de référente socio-éducative. Je suis en charge de l’accompagnement à la scolarité des enfants de primaires (6-12 ans), un dispositif gratuit proposé aux familles. Les enfants, accueillis 4 jours par semaine sur le temps périscolaire, sont regroupés en petits groupes de 12 maximum, et par niveaux (CP/CE et CM). Cette répartition permet de proposer des projets adaptés aux âges et capacités des enfants, mais également d’éviter certains sentiments de frustration ou d’écrasement dues à de trop grandes disparités.
L’accompagnement englobe pour cette année une quarantaine d’enfants issus de 4 écoles du quartier. Les enfants qui fréquentent l’accompagnement ont des besoins et des problématiques différents, chacun appréhendé dès l’inscription : socialisation, sortir du cadre scolaire ou familial, se retrouver « entre enfants », découvrir un autre rapport à l’adulte, etc. Cela peut également être des enfants qui n’ont pas l’opportunité de jouer librement à la maison, ou qui sont en demande de découvertes culturelles, scientifiques, etc.
Ce poste implique plusieurs axes de travail :
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l’encadrement d’équipe d’animateurs, et la prise en charge de leur formation tout au long de l’année ;
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la rencontre de partenaires éducatifs sur le territoire,
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la construction de projets pour et par les enfants,
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l’accompagnement des parents dans leur relation à l’école et aux structures institutionnelles.
Mon rôle est également d’appréhender tous les aspects de la scolarité, et de tenter de voir avec les parents les problématiques rencontrées à la maison ou à l’école. »
Guillaume : « Dans ton métier, tu défends une certaine vision de l’accompagnement à la scolarité. Peux-tu nous en dire un peu plus ? »
Mathilde : « L’accompagnement à la scolarité n’a pas pour but de proposer une école bis, mais d’appréhender la scolarité par une pédagogie du détournement et de l’imaginaire. J’entends ainsi qu’en jouant, en faisant des activités socio-éducatives, les enfants révisent naturellement les notions vues en classe. Et sont en situation de compétence, de réussite et de confort.
Pareillement, nous sommes plus attentifs au confort de l’enfant, à sa relation au groupe, aux autres, aux adultes qu’aux notes ou à la « réussite scolaire ».
Comme je l’explique aux enfants et aux parents : le temps des devoirs est l’aspect qui m’intéresse le moins dans ce travail, car nous ne sommes pas enseignants, mais animateurs ! »
Guillaume : « Et pour cela, ton équipe met en place des projets tout au long de l’année ! »
Mathilde : « Cette année, nous avons mené des projets divers s’étalant sur 3 semaines (pour les projets les plus courts) et jusqu’à 3 mois autour de 3 axes : les projets d’enfant, le détournement d’objets et raconter des histoires (on ne se refait pas !1).
Les projets les plus ambitieux et qui ont pris le plus de temps sont les projets d’enfants. Car il me semblait injuste de décider pour les enfants ce qui est bien pour eux, sans même les consulter sur le sujet. Ainsi, en début d’année scolaire, les enfants ont voté collectivement pour un projet, et déterminé des activités qu’ils souhaitaient mettre en place. Ils ont ensuite été accompagnés pour faire vivre et évoluer leurs projets.
Tous ces projets vivent parce que nous associons de nombreux partenaires locaux à notre démarche et nos actions. Pour les citer, nous avons travaillé avec la DDC (le service culturel de la ville de Pantin), la bibliothèque de quartier, le 104 à Paris, le Salon du Livre et de la Presse Jeunesse, les Jeunes Ambassadeurs des Droits auprès des Enfants, la Bibliothèque de la Cité des Sciences, la Semeuse, Tribudom, la Dynamo, le PRE de Pantin, La Compagnie ‘Pour ainsi dire’ (et notamment Raphaël), la FOL 93, la Ludothèque, l’association 4 Chemins Evolution et le Relais des Parents. »
Guillaume : « Peux-tu nous donner des exemples de projets vécus ? »
Mathilde : « En partenariat avec le Salon du Livre de Jeunesse, 6 ouvrages ont été mis à disposition constituant ainsi le Jury Tam-Tam. L’objectif de ce jury est de positionner les enfants en acteurs : comparer ses lectures, débattre collectivement sur les ouvrages préférés, argumenter son choix.
L’antenne Vaillant a participé activement au jury de lecture par une gestion autonome des prêts de livres à la maison, la création d’outil d’emprunt, la détermination collective du vote. Les enfants ont ainsi demandé à ce qu’un vote avec urne et isoloir soit organisé.
Il y a également eu un long projet autour de la Machine à Poèmes (une machine à rouage et manivelles, inventée par Pascal Sochet, qui propose des mots et constitue ainsi un outil d’écriture ludique), qui devait être un partenariat ponctuel mais, face aux créations élaborées par les enfants et leur volonté de continuer ce projet, a duré plusieurs mois. Après une manipulation de la machine à la bibliothèque, la Machine à poèmes à été mise à disposition dans les deux antennes, sur une durée totale de 4 mois. Un ouvrage recueillant les poèmes des enfants a ainsi été créé.
En avril, nous avons mis en place les ateliers Cabanes-Relais. Dans le cadre d’un partenariat avec La Semeuse, aux Laboratoires d’Aubervilliers, les enfants ont pu aborder l’architecture vernaculaire. L’objectif était de proposer des ateliers autour du développement durable par le détournement d’objets du quotidien.
Après avoir dessiné un plan de sa cabane idéale, chaque enfant était invité à investir les planches, ballots de paille et rideaux mis à disposition pour construire une cabane. Ce projet s’est conclu avec un temps fort le 11 avril réunissant tous les groupes ainsi que des parents.
Ensuite, nous avons mené un projet autour de la Géométrie, en partenariat avec la Bibliothèque de la Cité des Sciences. Cela a permis une découverte de la BSI via des ateliers ludiques, par les biais de la géométrie, et à l’aide d’un support littéraire dans un premier temps ; ensuite, une visite a été articulée autour de jeux mathématiques et de logique…
Enfin, il y a eu des temps parents-enfants pour découvrir l’espace de la bibliothèque, des ordinateurs mis à disposition pour un espace auto-formation pour les adultes et des ateliers adaptés pour les enfants.
Guillaume : « Comment les parents ont-ils vécu ces projets ? Ils devaient s’attendre à quelque chose de plus ‘scolaire’, non ?
Mathilde : « Le début d’année a été complexe, les parents étant très en attente des devoirs, de la réussite scolaire immédiate, des « bonnes notes ».
Un long travail de médiation s’est amorcé, pour expliquer aux parents que la réussite scolaire ne dépend pas uniquement de l’application des notions et des bonnes notes. Cela dépend également du confort de l’enfant, de son insertion dans le groupe.
Également, un des grand travaux cette année a été de prouver que l’accès à la culture, aux loisirs, s’inscrit dans les apprentissages.
Les années précédentes, les enfants étaient présents 4 jours par semaine. Cette présence systématique amenait une confusion et des exigences vis-à-vis de l’accompagnement : les devoirs devaient être faits et si des erreurs étaient commises par l’enfant, les parents se tournaient vers la Maison de Quartier pour demander des explications. Pour permettre un accueil plus large d’enfants et pour favoriser leur autonomie, le temps a été réduit à 2 séances par semaine. Certains parents, inquiets de ces changements, m’ont demandé comment ils allaient pouvoir gérer à la maison. Ainsi est né le « temps des parents » : c’est un temps d’échange entre parents, en présence de professionnels de l’enfance. Les thématiques sont choisies par les parents, et ces moments ne sont reconduits que s’ils le souhaitent.
Si les premiers échanges étaient timides, les parents ont rapidement saisi ces temps pour échanger entre eux, partager les « astuces » essayées à la maison.
La pression était également très forte sur les enfants en début d’année, qui réagissaient avec angoisse : certains ne voulaient pas aborder le temps d’animation de peur de se faire réprimander à la maison !
Petit à petit, les parents ont vu les effets des projets sur les enfants… scolairement, mais également à la maison : les enfants étaient plus sereins, rentraient stimulés et calmes à la maison.
Certains enfants en situation d’échecs répétés à l’école et face aux adultes sont passés dans des situations de réussite et d’autonomie, à la Maison de Quartier et chez eux !
A partir du milieu de l’année scolaire, la pression sur les enfants et sur l’équipe de l’accompagnement s’est sensiblement allégée : les parents n’étaient plus en colère ou en demande de devoirs supplémentaires pour leurs enfants. »
Guillaume : « Et finalement, quelles répercussions as-tu pu observer tout au long de l’année ? »
Mathilde : «Les répercussions sont très positives, et parfois surprenantes !
Quelques exemples très marquants sont ceux où les enfants étaient en grande situation de fragilité.
Ainsi, une enfant dont le dialogue avec les adultes (et ses copains) était quasiment inexistant a commencé à dialoguer avec les adultes et le groupe grâce au projet d’enfant « court-métrage ».
Un enfant, qui manque de cadre et qui est en recherche de socialisation, était arrivé en début d’année en traînant les pieds, en souhaitant partir plus tôt. Il recherchait la confrontation à l’adulte, il était très compliqué de prime abord de l’intégrer au groupe. Finalement, cet enfant a trouvé un référent parmi les adultes, le dialogue s’est installé et il a entamé une relation plus posée au groupe et au cadre de l’accompagnement.
Il passe en 6e l’année prochaine, et donc quittera le cadre de l’accompagnement. Il m’a dit à plusieurs reprises vouloir redoubler son CM2 pour rester avec nous… !
Plus globalement, j’ai constaté un sentiment d’aisance chez la totalité des enfants. Les groupes, qui en début d’année étaient complexes à gérer, ont changé de dynamique. Ainsi, les derniers temps vécus ensemble ressemblaient à des sorties familiales ou à des colos très cool : la dernière en date était d’aller jouer dans les jardins de la Dynamo, salle de concert et lieu de médiation musicale à Pantin. Certains enfants ont joué au baby foot, avec d’autres nous avons investi le jardin, joué à qui saute le plus loin, arrosé les plantes, etc.
Pareillement au 104 (un espace de création culturelle à Paris) : les sorties étaient construites avec les enfants, ils déterminaient leur rythme, ce qu’ils souhaitaient voir, combien de temps passer dans telle installation, etc.
Vis-à-vis des parents, il y a eu un véritable retournement de situation. Certains étaient très anxieux, et parfois en colère (que ce soit sur le rythme nouveau du CLAS, réduit à 2 jours par semaine au lieu de 4, ou sur les projets qui « prennent » du temps sur les devoirs).
J’ai toujours été avec les parents dans une optique d’explication : pourquoi tel projet, quels sont les objectifs…
J’ai également toujours tenu à valoriser le positif : beaucoup d’éducateurs appellent les parents pour dire les mauvais moments : « votre enfant a fait une bêtise », « ça ne va pas du tout », etc.
Cette année, j’ai tenu à rencontrer régulièrement les parents et à décrocher le téléphone pour dire les progrès, les réussites, les petites victoires, les fiertés.
Je pense que cette relation de transparence a détendu et mis en confiance une majorité de parents. J’ai été très surprise sur cette fin d’année de voir des parents se déplacer pour me remercier, prendre le temps pour leurs enfants (notamment lors de la séance ouverte de théâtre, point d’orgue du projet d’enfants, où énormément de parents étaient présents alors qu’une majorité travaille).
Guillaume : « Et l’année prochaine ? »
Mathilde : « L’année prochaine, nous continuerons et intensifierons la dynamique de projets.
Nous allons évidemment reconduire les projets d’enfants, et prolongerons certains partenariats engagés cette année. Je tiens d’ailleurs à les remercier, car tous les partenaires ont fait preuve d’une grande motivation, d’une grande écoute et d’une extrême compétence.
Un des axes à intensifier est la formation de l’équipe d’animation, et « les temps des parents ».
Je laisse toutefois le début d’année s’installer, car avec la réforme des rythmes scolaires qui commence à Pantin, je souhaite observer l’état de fatigue des enfants avant d’amorcer une « grosse machine de projets ».
Je reviendrai vous voir en début d’année scolaire prochaine pour vous en dire plus ! La seule certitude est que tous les projets menés concourent à l’application des droits de l’enfant, du respect de leur identité, de leur individualité dans un groupe, et surtout : de donner aux enfants les moyens de s’exprimer, et de prendre en considération leur expression ! »
Guillaume : « Mathilde, merci beaucoup pour ton accueil. On reviendra voir les petits Pantinois et leurs projets qui, j’espère, donneront des idées à nos lecteurs. »
1Voir « Il était un Art », action mise en place par Mathilde lorsqu’elle travaillait aux Francas 93
Crédit photos : Hélène Vigny